10 décembre 2007

« La Forêt des Ombres » de Franck Thillier

La mort est sa compagne, sa collègue, elle le suit inexorablement. David Miller la côtoie chaque jour, elle qui peut être violente ou sereine, elle est toujours à ses côtés. Et lui il l’a connaît si bien, chaque jour il l'a retrouve à travers les traits de ses clients qu'il embellit pour leur redonner un air apaisé.
David est thanatopracteur, un métier qui n’est pas des plus convoité, mais il le fait avec le plus de professionnalisme possible. Avec les années il a su gagner en expérience et en rapidité, lui permettant d’intervenir sur des clients supplémentaires pour rapporter un petit extra non négligeable à la maison.
Pour David, parler de la mort en rentrant d’une journée de boulot comme s’il s’agissait d’une futilité ! Non, cela est impossible. Son seul exutoire, écrire.
Son premier roman n’est d’ailleurs pas passé inaperçu. Une fan complètement déjantée ne cesse d’envoyer des missives au domicile de la famille Miller. Tantôt des messages enflammés, tantôt des lettres d’insultes. Et c’est Cathy, la femme de David, qui la première subit la prose de Miss Hyde. Le dernier envoi prouve bien le dérangement mentale de Miss Hyde, le paquet qui arrive ce matin-là chez les Miller contient une colombe massacrée et le test de grossesse de Cathy… Elle qui essaie désespérément de cacher qu’elle est enceinte à David. Ensemble ils n’ont jamais pu avoir d’enfant. Clara leur fille, est le fruit d’une insémination artificielle. Si David apprend que sa femme attend un autre enfant, il saura qu’elle l’a trompé. Cathy était déjà à fleur de peau, attendant impatiemment la date de l’avortement, ce colis ne fait que l’enfoncer un peu plus dans la crise qu’elle vit ces derniers jours.
Au même moment, David va faire la connaissance d’un étrange individu. Arthur Doffre, riche vieillard paraplégique, souhaite engager David pour écrire un nouveau roman. Mais pas n’importe lequel. Il doit redonner vie à un tueur en série mort il y a un quart de siècle, un être qui n’aurait rien à envier à un Hannibal Lecter, le Bourreau 125. Arthur Doffre ne va pas lésiner sur les moyens pour que David accepte le contrat. L’argent est un bon argument, et les gens deviennent facilement manipulables. Arthur donne quatre jours et un joli paquet de billets à David pour réfléchir à sa proposition. Dans quatre jour il partira avec sa famille pour s’isoler dans la Forêt Noire durant un mois. Un mois pour écrire un nouveau roman et empocher un sacré pactole…

Cette histoire en huis clos entre cinq personnes est totalement oppressante. Le lieu, qui au départ se présentait comme paradisiaque, est en fait un endroit de cauchemar. La propriété comporte quelques détails non mentionnés lors de la conclusion du contrat. Le riche vieillard avait omis de parler des cochons en décomposition accrochés tout prêt du chalet, du laboratoire des entomologistes rempli d’insectes et surtout de mouches, ainsi que des nombreux pièges posés tout autour de la propriété pour soi-disant éloigner les lynx.
Nous vivons la descente lente et douloureuse dans la folie la plus pure et la perversion dans la ferme de la mort. La plume de Franck Thillier ne fait rien pour arranger ce climat déjà lourd. Même si la mise en place au départ du roman n’est pas sans rappeler « Misery » ou « Shining » de Stephen King, l’auteur arrive à s’affranchir des références qui peuvent nous sauter aux yeux, pour nous offrir un récit envoûtant. Le style est tranchant, les phrases courtes, coupées au scalpel, M. Thillier nous entraîne dans les méandres de la démence. La construction certes classique, du roman dans le roman, ajoute un côté fantastique. Alors que David écrit son livre en écoutant en boucle « La Jeune Fille et la Mort », nous assistons à la résurrection du Bourreau 125, tel un phoenix renaissant de ses cendres afin d’achever son œuvre.

L’auteur gère merveilleusement la montée en puissance de « La Forêt des Ombres ». Chaque chapitre apporte un élément supplémentaire, il distille au compte goutte les indices, ne laissant aucun répit au lecteur. A chaque fin de chapitre nous ne pouvons nous empêcher de continuer. Encore un, un petit dernier, c’est plus fort que nous. Car nous devinons que le Mal est là, quelque part.
Jusqu’au bout nous sommes tenus en haleine, et le dernier tiers du livre vient nous dévoiler des zones d’ombres supplémentaires, jusqu’alors insoupçonnées, installant une atmosphère encore plus pesante. Nous sentons la violence latente qui monte et la totale incertitude des personnages.

« La Forêt des Ombres » fait parti de ces rares thrillers qui savent encore vous prendre aux tripes, ne vous laissant l’occasion de respirer qu’à la fermeture du roman, lorsque l’étau se desserre enfin. Loin de copier ses pairs et de nous offrir un énième livre d’angoisse, Franck Thillier sait mettre en place tous les ingrédients pour nous offrir de délicieuses sueurs froides. Vous pensiez avoir fait le tour de ce genre littéraire ! Je pense que la littérature d’angoisse a encore de belles surprises à nous révéler. La relève est assurée et elle sera française, Stephen King n’a qu’à bien se tenir.


Ed. Le Passage - 2006

1 commentaire:

Decipher a dit…

J'en ai lu des thrillers dans ma vie, mais celui va garder une place de choix car il ne ressemble à aucun autre!!
En effet, il m'a permis de lire une histoire intense, sombre, déroutante,que l'on croit écrite avec un scalpel.
Jusqu'à la fin, on ne voit rien venir.Et une fois le livre posé, on se dit "mais comment il a fait pour nous berner jusqu'au bout!!".
Je vais me précipiter de ce pas vers l'ensemble de son oeuvre!!
Et si l'excellente école française du Thriller avait trouvé son maître?...